Par Sephora Lukoki Kapinga

« Un véritable féminicide a lieu en ce moment dans la République démocratique du Congo, » a déclaré en 2007, lors d’une conférence, Stephen Lewis, ancien ambassadeur du Canada à l’ONU et envoyé spécial de l’ONU pour le VIH/SIDA en Afrique.
Le féminicide est le meurtre d’une femme tout simplement parce qu’elle est une femme. C’est autour d’une table-ronde organisée par Columbia Global Centers à Paris, jeudi 10 février qu’on échange sur ce thème ainsi que sur l’histoire de Colette Ramazani, dit Coco. Orpheline, victime de violences sexuelles durant son enfance dans l’Est de la République du Congo. « Tu le diras à ma mère », publié chez Présence Africaine en novembre 2015 est l’histoire vraie de Coco racontée par Joseph E. Mwantuali, professeur de littérature à Hamilton College aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, Coco vit aux Etats-Unis chez sa sœur. Les conséquences des viols ont marqué son existence et elle lutte contre la maladie, héritée suite aux violences sexuelles. Malgré toutes les épreuves, elle a décidé de raconter son histoire et l’histoire de toutes ces femmes victimes d’un féminicide au Congo.
Les invités
« Tu le diras à ma mère » est commenté par plusieurs invités devant un public très attentif. Rémy Bazenguissa-Ganga sociologue et professeur à l’Université de Lille 1 et l’Institut de Sociologie et d’Anthropologie, Boniface Mongoi-Mboussa, docteur en littérature comparée, Joseph E. Mwantuali, Congolais de la RDC, romancier, et dramaturge. Il enseigne le français et les études francophones à Hamilton College à New-York. Il a traduit la version française du livre en novembre 2015. « Tell this to my mother », la première version a été publiée aux Etats-Unis en 2013.
Christelle Taraud enseigne les programmes parisiens de Columbia, elle travaille sur les femmes, le genre et les sexualités en contexte colonial maghrébin. Sonia Emmanuel, comédienne et metteur en scène est chargée de lire les extraits du livre. Sa lecture à haute voix nous a fait frémir et ressentir l’intensité de l’histoire de Coco. L’intonation, le souffle, le rythme nous ont fait pleinement rentrer dans le récit. Les citations très bien choisis m’ont fait réaliser la gravité et l’atrocité des traitements accordés à ces femmes.
Les problématiques abordées
La question du viol des femmes est centrale. Des séquences de L’homme qui répare les femmes de Thierry Michel et Colette Braeckman sont diffusées. Denis Mukwege, chirurgien gynécologue s’est voué à cette cause : réparer le corps de ces femmes et enfants issus de viols. « Dans les zones de conflit, les batailles se passent dans le corps des femmes » déclare-t-il au début du film documentaire. Pourquoi les femmes sont-elles l’objet d’une telle barbarie ? Et jusqu’à quand seront-elles victimes d’une telle violence ?
Certaines personnes du public questionnent les invités et proposent également des hypothèses. Le sujet est très sensible et chaque intervention est minutieusement analysée. Rémy Bazenguissa-Ganga a fait l’erreur de supposer qu’il est possible que certains témoignages des victimes de viol n’étaient pas vrais. Dans la minute qui suit, plusieurs membres du public réfutaient ces propos. Comment oser nier le témoignage de ces femmes meurtries? Je me rappelle encore cet homme au fond de la salle prenant la parole avec colère. Originaire de Bukavu (ville située au sud-ouest du Lac Kivu en RDC), il a pu soigner certaines femmes et il se rappelle encore la multitude de femmes violées à la recherche de soin.
Pour comprendre la situation au Congo, un retour à l’histoire est nécessaire. Comme l’explique Christelle Taraud : « depuis la colonisation belge, le néocolonialisme, tout le monde veut la richesse du Congo, il y a un intérêt économique. Le Rwanda et l’Ouganda envient le Congo. Et l’un des terroirs privilégiés de la guerre au Congo est le corps de la femme. La situation au Congo est exceptionnelle. Tous nos téléphones sont créés par le cobalt et 60 à 80% de ce cobalt provient de la RDC. Le Congo est une banque à ciel ouvert.»
« La situation en RDC est la conséquence du génocide rwandais. Depuis près de 20 ans, la RDC subit une guerre surtout dans l’Est. C’est une guerre que l’on veut oublier mais le livre de Coco prend tout son sens. C’est un devoir de mémoire surtout par rapport aux femmes. Coco est le témoin de toutes ces anonymes. D’ailleurs,, le titre « tu le diras à ma mère » est son idée » ajoute Boniface Mongoi-Mboussa.
La volonté de Coco est de raconter « ce que la femme de l’Est du Congo a enduré et de dire à ce grand monde l’histoire de ces hommes qui ont violé des milliers de femmes qui ne leur avaient rien fait. » (Extrait du livre « Tu le diras à ma mère »).
Votre commentaire