Viols massifs à Minova : la militante qui a préféré garder l’anonymat continue à croire en la justice pour les victimes

Par David Kasi

En novembre 2012, des viols massifs ont été commis à Minova, au Sud-Kivu, dans l’Est de la RDC. Au total, 1014 cas de pillages ont été recensés et 135 cas de viols exécutés par 39 soldats congolais selon l’ONU. Contre toute attente, la justice militaire de la RDC a acquitté la quasi-totalité des présumésvioleurs en 2014. 10 ans après les faits, les victimes continuent de vivre le traumatisme de ces actes barbares, les enfants qui en sont issus sont stéréotypés dans la société. Rencontre avec une des victimes.

Nom d’emprunt Baraka

Retour sur les faits : Nous sommes en novembre 2012, après que les rebelles du M23 aient pris la ville de Goma. Les soldats du 391e bataillon de commandos, formés par les Etats-Unis à Kisangani, sont accusés d’avoir commis des atrocités à Minova et ses alentours pendant leur fuite. « 135 cas de violence sexuelle, ainsi que d’autres violations graves des droits de l’homme, dont les meurtres et des pillages massifs perpétrés par les militaires du 20 au 30 novembre 2012 » sont répertoriés dansun rapport de la MONUSCO cité par Jeune Afrique. Sur les 39 suspects, seulement 3 sont condamnés le 5 mai 2014. 22 autres soldats sont acquittés des accusations de viols portées contre eux, mais condamnés simplement à des peines de 10 ou 20 ans de prison pour violation des consignes, pillages et dissipation des munitions.

« Vous parlez correctement de comment les choses se sont passées ce jour, je ne saurais pas vraiment », a commencé par dire Desanges Kabuo, survivante de viol et aujourd’hui mèred’un garçon issus de ces atrocités. « C’était un viol massif ou tout le monde tentait de s’échapper », se force-t-elle d’expliquer. « Ce n’était pas vraiment facile alors les soldats entraient dans les maisons ou ils rencontraient soit deux ou trois personnes et comme ils avaient de la force, ils étaient bien armés, c’était difficile de s’échapper. Ils pillaient, ils tabassaient et ils violaient les mamans, les filles… » se souvient-elle.

« Quand on partait au procès, on croyait qu’on sera bien jugées… » Selon Desanges Kabuo, plus de « 500 » femmes ont été victimes. Mais, « est-ce que c’est seulement les 3 soldats condamnés qui ont violé les 500 femmes ? », s’interroge-t-elle. « Non, c’est inconcevable et c’est ça maintenant le rôle de la justice aujourd’hui ». Elle n’est pas prête à abandonner son combat. Elle veut que la justice soit faite, elle veut se mettre àfond dans le dossier et « dire non à l’injustice » pour que ce même malheur ne se répercute « même à nos générationsfutures », déclare-t-elle. « Vous voyez, quand ce sont les soldats qui ont violé, normalement, c’est le gouvernement qui devrait prendre en charge cette situation », se persuade Desanges.

« Quand on partait au procès, on croyait qu’on allait être bien jugées, qu’on allait nous remettre en tant que victimes dans nos droits mais hélas, c’était le procès désolant », regrette Kabuo qui, avec une dizaine d’autres survivantes ont formé un collectif qui allait lutter pour leur justice. Dans les rencontres avec la population, elles sont fières de partager leurs histoires. 

Au-delà de l’immense défi de ces femmes victimes, leurs enfants, fruits du viol, sont régulièrement la cible des stigmatisations dans la société. D’abord, Desanges a eu du mal à comprendre la situation d’être enceintée par un inconnu. « Vous savez comment ça fait mal pour une femme qui a conçuinvolontairement avec une personne sur laquelle elle n’a aucune idée et qu’elle est persuadée qu’elle ne reverra plus» , nous a-t-elle amèrement rappelé.

Le garçon de Desanges Kabuo ne fait pas exception. La relation entre les deux est à la base non consentie mais l’amour maternel brille de mille feu. Étiqueté dans tous les sens dans son entourage, l’enfant est malheureusement prédisposé à ce sort, du moins pour le moment. « Ils ont raison de le traiter comme ça car c’est un enfant sans identité, c’est un enfant qui n’a pas vraiment d’éducation. Il faut que je me batte pour que mon enfant trouve quand même un peu d’éducation », reste déterminée Desanges. « C’est compliqué pour lui. Malheureusement il n’est pas seul, il y a beaucoup d’enfants qui sont fruits du viol et aujourd’hui, ils sont dans la rue. C’est peut-être eux qui deviennent des rebelles vu la façon dont on les traite dans la communauté ».

Ces enfants issus du viol sont surnommés « enfants serpent » ou « enfants soldat » par leurs paires. Un comportement qui a des conséquences néfastes sur leur mental. « Souvent mon enfant revient vers moi et me dit : ‘’ Moi aussi peut-être j’irais dans laforet, soit pour me venger contre ceux qui m’appellent enfant soldat, soit pour aller chercher mon papa ’’, témoigne Kabuo. 

À la fin, Desanges recommande au gouvernement congolais de commencer à prendre en charge les survivantes de ces violences et leurs enfants. Ces derniers, ayant raté la scolarité et une éducation adéquate, doivent poursuivre les formations dans plusieurs domaines de la vie afin « qu’ils changent leurs espritsrebelles pour lutter qu’ils ne soient des bombes à retardement », conclut-elle.

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