Par Sephora Lukoki Kapinga.
Kanika. C’est le premier tome d’une invitation au cœur d’une transmission de la gastronomie africaine, des traditions et des histoires. « Pour faire le yassa, Mamie dit qu’il faut découper finement les oignons » explique Kanika, petite fille âgée de 6 ans, symbole d’une future génération plus que consciente des codes et des rites de sa culture. Tout se passe dans les papilles avec ce livre d’Ophélie Boudimbou illustré par Ama, qui nous plonge au centre des saveurs de l’Afrique. Destiné aux enfants, Kanika est aussi accessible à tous les curieux et les gourmands. Apprendre à préparer avec les chants des pileuses, c’est une façon de retenir les plats et de découvrir les différentes recettes en fonction des pays d’Afrique. Les méthodes diffèrent mais le goût lui, est unique.

L’enfance, point d’ancrage et de connexion à sa culture
Avoir un.e assistant.e en cuisine, c’est toujours intéressant. Surtout si ce ou cette dernier.e incarne la future génération. La transmission prend alors un sens particulier. Celui de perpétuer un héritage culturel dans le cœur des enfants, encore innocents et ouverts d’esprit. Ophélie Boudimbou n’a donc pas choisi sa cible au hasard.
« Ce livre apporte aussi une idée d’activité et des pistes de réflexion sur sa culture. La transmission est importante dès le bas-âge, que tu sois afro-descendant ou pas, cuisiner en famille permet de développer la motricité de l’enfant, mais cela lui permet aussi de découvrir ses traditions et sa culture » confie Ophélie. L’idée de Kanika c’est donc un retour aux sources pour les enfants. « C’est aussi un moyen pour les parents d’apprendre aux enfants à être fiers d’être afrodescendants. » L’ouvrage est aussi un manuel pour favoriser l’estime de soi. « C’est maintenant qu’il faut apprendre cela. Petite, je me rappelle je n’étais pas fière d’être africaine. J’ai grandi avec cette idée car on te montre que tu es inférieure, on ne t’apprend pas ton histoire et quand tu la découvres, tu apprends enfin à t’aimer. C’est pareil pour les personnes qui n’aiment pas leur couleur de peau. On ne nous donne pas des outils pour s’aimer. Donc si tu as des livres, qui dès l’enfance te permettent de te réapproprier ton histoire ça change tout. »
Connaître son identité et l’aimer, tel est le message délivré. Ophélie a donc choisi les enfants pour leur transmettre ces valeurs dès l’enfance. « Quand tu parles aux enfants, tu vas chercher les mots adéquats, tu es aussi amené à apporter du rêve. J’écris pour des personnes qui ont besoin de lire des choses qui n’ont pas été dites ou des choses que moi j’aurais voulu lire enfant en ayant des étoiles pleins les yeux» complète Ophélie, jeune étudiante congolaise de 27 ans vivant à Douai. Doctorante à l’université de Lille, elle prépare en parallèle une thèse en littérature comparée.
De la quête identitaire à l’affirmation : « Mon Afrique à moi »
Ophélie a grandi au Congo. Elle est arrivée en France en 2015 pour poursuivre ses études. En cours de route, Kanika est née. C’est le fruit d’une prise de conscience. « Arrivée en France, je ressentais le mal du pays, il y avait une quête identitaire en moi, je ne me retrouvais pas dans ce que je voyais dans la société. Je m’en voulais d’être partie du Congo. Quand j’étais au Congo, j’étais congolaise, et arrivée en France, on me considérait comme une africaine. Dans certains discours, je me rendais compte que les gens ne connaissaient pas l’Afrique car au lieu d’être pris dans notre singularité, on est pris dans notre globalité. »
Cette analyse aboutira à une réflexion. « Qu’est-ce que les gens ne connaissent pas de l’Afrique ? Si les gens ne connaissent pas certaines choses c’est qu’on en parle pas assez ou en parle mal. Quels sont les livres qui parlent d’Afrique et comment l’Afrique est perçue dans les livres de jeunesse autant les livres édités en Afrique que ceux édités en occident. » Elle réalise que les livres sont nombreux en Afrique mais l’état de l’économie du livre n’est pas assez développé et on ne les importe pas forcément en Europe. D’ailleurs, en Europe, la majorité des œuvres traitent souvent des sujets associés à « l’enfant guerrier, la savane ou la famine ». Ce qui nourrit un imaginaire limité à « la forêt, à la belle faune et flore et aux guerres. Et on oublie que l’Afrique est un continent riche d’histoire de plusieurs siècles, un continent riche de diversité culturelle, un énorme patrimoine qui mérite d’être connue de tous. »

Kanika en est l’incarnation. Tout est parti du fin fond des tripes de l’auteure. Une fois le thème choisi, il était aussi important de trouver le scénario adéquat. La gastronomie a été le fil conducteur. « Pour découvrir un pays, je vais découvrir ce qu’il mange. Si je veux parler de l’Afrique, je dois commencer avec un message qui peut parler à tous. Quand tu arrives dans une maison, on te propose un mets et c’est de cette façon qu’on découvre la culture d’autrui. »
L’art culinaire serait donc le guide des cultures. L’auteure a trouvé la bonne méthode pour prendre le lecteur par la main et commencer à lui développer son message sur l’Afrique, pour enfin lui présenter comme elle le dit « la vision de mon Afrique à moi. » En résumé, Kanika, dans la cuisine de mamie est une petite fille noire et française de 6 ans, qui chaque été, part en vacances avec ses parents pour découvrir le continent de ses ancêtres. Pendant ses voyages, elle vit au village de ses grands-parents et s’émerveille devant la cuisine de sa mamie. Les célèbres mets africains et antillais sont réunis dans ce livre afin que la petite fille ou le petit garçon se plonge dans l’histoire et la tradition du continent.
« Il y a des plats qui ont des histoires, par exemple le tiep bou dièn – riz cassé avec légumes, sauces, poisson ou viande, qui est le plat national du Sénégal. On voit que les ingrédients viennent de plusieurs coins du monde, le manioc peut provenir des Antilles, le riz du Vietnam… Le tiep remonte au XIXe siècle et il va peut-être être inscrit au patrimoine de l’Unesco. Donc il y a des plats qui sont incontournables. Le tiep est arrivé avec la colonisation et aujourd’hui il est symbole de tout un peuple » raconte Ophélie.
Mais Kanika ne se limite pas à la cuisine. Bien au contraire, le projet c’est de partir d’une thématique centrale : la gastronomie africaine et ensuite de développer d’autres sous-thèmes. Kanika regroupe la tradition, la culture mais aussi l’idée d’un métissage culturel concernant l’Afrique. Si Kanika est africaine, on ne sait pas forcément son origine précise. C’est un parti pris de l’auteure. « Je me suis entêtée à ne pas préciser le pays de Kanika ni le lieu où se déroule l’action, j’ai une vision panafricaine donc j’ai voulu englober cela. Le livre c’est le tour des pays à travers les recettes. J’ai préféré mettre à l’honneur sa globalité et aussi chaque met dans sa particularité. J’ai voulu que chaque enfant se retrouve, même s’il n’est pas sénégalais, gambien ou congolais, j’ai voulu que l’enfant rêve plutôt de cette diversité culturelle au lieu de se focaliser sur un pays. »
Ce choix ferme, elle assume malgré des critiques externes. Pour elle, son objectif est de parler de l’Afrique avec un angle axé sur l’histoire avant la colonisation. « Je veux qu’on reparle de cette Afrique où l’on avait des empires qui reflétaient la gloire du continent. Je préfère présenter les grands empires au lieu de parler de chaque pays dans leur unicité. Je préfère revenir à cette vision d’une grande Afrique qui a eu des grands hommes et des grandes femmes. On n’en parle pas beaucoup dans les livres d’histoire. Vous avez eu Charlemagne mais nous on a eu Osei tutu, roi de la nation Ashanti au Ghana. Vous avez Elizabeth et nous on a eu Zinga, reine des royaumes de Ndongo et Matamba qui deviendront l’Angola. Donc si un enfant apprend cela, il sera tout à fait fier de ses origines.»
Les réalités d’un premier livre entre difficultés et joies

L’écriture de Kanika a débuté en septembre 2018. Ecrire est un travail de longue haleine, et cet ouvrage a été l’objet de nombreuses réécritures et modifications. « Au début la première version, la fille s’appelait Eurêka, clin d’œil à l’ingéniosité et à la curiosité. Mais je voulais qu’elle soit authentique, vu qu’elle est afropéenne, donc je me suis dis c’est sans doute mieux de trouver un prénom qui reflète ses origines. En faisant des recherches, je suis tombée sur Kanika, un prénom d’origine égyptienne, qui signifie « petite fille noire ». Ce prénom reflétait parfaitement l’héroïne. »
Dans la rédaction de Kanika, le public a été d’une aide précieuse. « Leurs retours m’ont aidé à perfectionner ce manuscrit. Pendant près de six mois, j’ai pu peaufiner mon livre. Ce travail je l’ai partagé sur les réseaux sociaux donc cela m’a permis de positionner mon projet d’écriture ». Aujourd’hui, les réseaux sociaux jouent un rôle majeur. Les relations entre les abonnés et la personne qui possède le compte sont plus étroites. « Les commentaires sur Instagram m’ont beaucoup aidé. On me demandait : « pourquoi la fille fait le tour de l’Afrique ? Est-ce qu’il y aura tel plat ? … C’est pour ça que je dis, Kanika c’est le livre du public, grâce à eux, Kanika a vu le jour.» C’est aussi grâce à Instagram que BBC la repérera. « Ils ont vu la promotion et j’ai été contacté. J’ai aussi eu un article sur les dépêches du bassin du Congo. Du coup, pour moi c’était une surprise. C’était comme un effet boule de neige. » Encouragée par son père, fier de voir sa fille à la tête d’un tel projet mais il ne manque pas de lui rappeler de ne pas oublier ses études.
Pour assurer les coûts de production et les frais d’impression du livre, Ophélie a mis en place une campagne de financement participatif sur Ulule. Après trois mois de promotion, elle dépasse son objectif et s’en sort avec succès. « Kanika, dans la cuisine de Mamie » sera enfin mis en vente. Une étape encourageante et stimulante pour un premier projet. Même si cette dernière n’a pas été de tout repos. Etant passée par l’autoédition, Ophélie a été confronté à plusieurs difficultés. Ecrire un livre jeunesse recommande d’être très vigilant dans le contenu de l’écriture. Mais le livre ne s’arrête pas à la rédaction, il y a toute une promotion concernant le manuscrit et il faut bien gérer la collaboration entre les imprimeurs, l’éditeur, l’illustrateur. C’est tout un travail considérable. Mais qui en vaut la peine car les retours du public dépassent les attentes. « C’est la partie la plus touchante. J’ai vu que les gens ont adhéré au projet. J’ai même une bibliothécaire qui m’a beaucoup encouragé et félicité. J’ai des parents qui me disent qu’on avait besoin d’un tel livre pour découvrir des recettes africaines pour les enfants. Ca fait chaud au cœur» assure Ophélie d’une voix émue et joyeuse.
Kanika, c’est aussi une invitation à perpétuer la tradition orale insufflée par les gardiens, les conteurs et les raconteurs. La sagesse africaine doit être transmise sinon elle disparaîtra. « La tradition orale est la grande école de la vie tirant du sacré sa puissance créatrice et opératrice, la parole selon la tradition africaine, est en rapport direct soit avec le maintien soit avec la rupture de l’harmonie dans l’homme et dans le monde qui l’entoure » explique le célèbre écrivain, auteur, conteur, historien, ethnologue, poète malien Amadou Hampâté Bâ dans son livre La parole, mémoire vivante de l’Afrique. Ophélie en est consciente et conclut : « Il est important que chacun de nous de nous soit un griot pour nos enfants, que l’histoire soit transmise, que la culture soit inculquée, aujourd’hui le griot c’est le journaliste, l’écrivain, l’éducateur, le parent, on doit tous être des griots pour nos enfants. Transmettons nos valeurs, apprenons à nos enfants à sourire aux cultures des autres. Quand tu t’intéresses à ta culture et à celle des autres, tu as des repères, tu sais qui tu es. Soyons fiers de ce patrimoine culturel et historique. »
Retrouvez l’actualité d’Ophélie Boudimbou sur : @petitsboutsdhistoires et https://linktr.ee/petitsboutsdhistoires
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